Vous voyez ces élèves en cours de yoga, penchés vers l’avant, tête qui dépasse, haut du dos arrondi, comme une carapace qui s’installe ? C’est la fameuse “posture tortue”. Et elle ne reste pas sur le tapis : elle vous suit ensuite au bureau, au volant, sur le canapé… et finit par se graver dans votre corps.
Bonne nouvelle : ce n’est pas une fatalité, et le yoga peut être un excellent levier pour la corriger… à condition de comprendre ce qui se passe vraiment et de travailler intelligemment.
Qu’est-ce que la posture tortue en yoga ?
La posture tortue, c’est un ensemble de petits défauts d’alignement qui finissent par créer un schéma postural :
Haut du dos arrondi (hypercyphose)
Épaules qui partent vers l’avant
Tête projetée devant le buste
Poitrine “fermée”, cage thoracique écrasée
On la voit souvent :
En posture assise (méditation, tailleur) : le bas du dos s’affaisse, le haut compense et s’arrondit
En chien tête en bas : dos bombé, épaules qui “tombent” vers les oreilles
En flexions avant : la tête part la première, le dos s’enroule comme un C
Et ce qui est intéressant, c’est que cette posture ne vient pas du yoga. Elle vient de votre vie… et se révèle en yoga.
Les causes : ce que votre haut du dos raconte de vos habitudes
Personne ne “choisit” d’avoir un dos en tortue. C’est le résultat d’un environnement + d’habitudes répétées des milliers de fois.
Les causes les plus fréquentes :
Sédentarité et écranisation massive : des heures plié sur un ordinateur ou un téléphone, coudes sur la table, tête penchée. Vos muscles s’adaptent exactement à ce que vous leur demandez : arrondi et raccourci.
Manque de force entre les omoplates : les muscles du haut du dos (rhomboïdes, trapèzes moyens, dentelé postérieur…) sont trop faibles pour maintenir une belle ouverture du thorax. Du coup, les épaules “tombent” vers l’avant.
Pectoraux raccourcis : quand on vit de face (clavier, volant, téléphone, cuisine…), les muscles de l’avant du corps se contractent en permanence. À la longue, ils tirent les épaules vers l’avant comme un élastique trop court.
Stress et protection psychologique : beaucoup de personnes se “ferment” inconsciemment quand elles sont anxieuses, fatiguées ou en perte de confiance. On rentre la poitrine, on se fait petit. Le corps suit l’émotion.
Pratique de yoga mal ajustée : se forcer dans les postures en flexion avant, chercher la profondeur plutôt que l’alignement, copier les voisins plus souples… et renforcer sans le vouloir le schéma tortue.
Autrement dit : ce n’est pas “vous qui êtes tordu”. Ce sont des habitudes corporelles devenues automatiques. Et donc, bonne nouvelle : ça se reprogramme.
Les conséquences : ce que la tortue vous coûte vraiment
On parle souvent d’esthétique (“je suis vouté(e)”, “je n’aime pas ma posture sur les photos”) mais l’enjeu va bien au-delà.
Douleurs cervicales et tensions de nuque : une tête avancée de quelques centimètres pèse soudain 2 à 3 fois plus pour les muscles du cou. Ils tirent en permanence pour éviter que la tête ne “tombe”. Résultat : raideurs, migraines, fatigue oculaire.
Douleurs entre les omoplates : cette fameuse sensation de “couteau dans le haut du dos” ou de brûlure en fin de journée. Vos muscles crient qu’ils travaillent sans les bons leviers.
Respiration limitée : un thorax fermé = un diaphragme qui bouge moins bien = une capacité respiratoire réduite. Vous vous essoufflez plus vite, vous récupérez moins bien, votre système nerveux reste plus facilement en mode stress.
Impact sur l’humeur et la confiance : de nombreuses études montrent le lien entre posture et état émotionnel. Dos affaissé, regard vers le bas : le message envoyé au cerveau est clair. Et l’inverse est vrai : redresser le buste, ouvrir la poitrine, change la façon dont on se sent.
Limites dans votre pratique sportive : en yoga, en musculation ou en sport collectif, un haut du dos verrouillé limite la mobilité des épaules, la puissance des bras et la stabilité du tronc. Vous plafonnez sans comprendre pourquoi.
La question à se poser : combien de temps encore avez-vous envie de porter cette carapace ?
Auto-diagnostic : est-ce que vous êtes en mode tortue ?
Avant de corriger, il faut voir. Pas en théorie, mais sur votre propre corps. Voici trois tests simples à faire maintenant.
Test 1 : la photo de profil
Demandez à quelqu’un de vous prendre en photo de profil :
Debout, pieds sous les hanches, bras le long du corps
Regard droit devant, en position “naturelle” (ne trichez pas)
Observez :
Votre oreille est-elle au-dessus de l’épaule… ou largement devant ?
Vos épaules tombent-elles vers l’avant ?
Votre haut du dos forme-t-il une courbe prononcée ?
Plus la tête est en avant, plus la tortue est installée.
Test 2 : dos au mur
Placez-vous debout, dos au mur :
Talons à environ 5–10 cm du mur
Fessiers, haut du dos et arrière de la tête vers le mur
Questions :
La tête touche-t-elle le mur sans que vous leviez le menton ?
Est-ce que vous devez forcer exagérément pour y arriver ?
Si votre tête reste loin du mur ou si vous sentez une tension importante dans la nuque, la posture tortue est bien là.
Test 3 : bras au-dessus de la tête
Le dos toujours au mur :
Montez les bras au-dessus de la tête, paumes vers l’avant
Essayez de coller les mains et les avant-bras au mur
Si vous devez creuser fortement le bas du dos ou que les épaules se coincent, cela montre une raideur de la chaîne antérieure (devant du corps) et un manque de mobilité du haut du dos.
Vous vous reconnaissez ? Parfait. Vous voyez le problème, vous allez pouvoir le travailler.
Corriger la posture tortue : la logique avant la gymnastique
Vouloir “se redresser” en se répétant “tiens-toi droit” ne fonctionne pas. C’est comme demander à un ordinateur de changer de programme sans toucher au code.
Pour changer le code postural, on va jouer sur trois leviers :
Relâcher ce qui tire vers l’avant
Renforcer ce qui stabilise l’arrière
Reprogrammer votre façon de bouger au quotidien
Et oui, le yoga peut vous y aider si on l’utilise comme un outil, pas comme une performance.
Exercices de base : ouvrir l’avant du corps
Premier axe : redonner de la longueur aux pectoraux et à l’avant des épaules. Voici trois exercices inspirés du yoga, adaptables à tous.
1. Ouverture de poitrine contre un mur
Objectif : étirer les pectoraux en douceur.
Mode d’emploi :
Placez-vous debout, côté droit face à un mur
Posez la paume de la main droite sur le mur, bras à l’horizontale
Tournez doucement le buste vers la gauche jusqu’à sentir un étirement devant l’épaule et la poitrine
Restez 30 à 45 secondes en respirant profondément
Changez de côté
Point clé : gardez les épaules basses, ne forcez pas. Vous devez sentir un étirement franc, pas une douleur.
2. Sphinx (version thérapeutique)
Objectif : ouvrir le haut du thorax sans casser le bas du dos.
Mode d’emploi :
Allongez-vous sur le ventre, jambes détendues
Placez les coudes sous les épaules, avant-bras au sol
Imaginez que vous tirez légèrement le sol vers vous avec les avant-bras pour allonger la colonne
Ouvrez la poitrine vers l’avant, sans lever exagérément le menton
Respirez 5 à 10 cycles
Vous devez sentir un travail doux dans le haut du dos, pas une compression dans les lombaires.
3. Torsions allongées
Objectif : redonner de la mobilité à la colonne thoracique.
Mode d’emploi :
Allongez-vous sur le dos, genoux fléchis à 90° au-dessus du ventre
Laissez tomber les genoux d’un côté, bras en croix
Tournez la tête du côté opposé aux genoux
Respirez 1 à 2 minutes par côté
La rotation douce de la colonne aide à libérer la zone entre les omoplates, souvent “bloquée” chez la tortue.
Renforcer le haut du dos : vos nouveaux alliés
Deuxième axe : vous ne pouvez pas espérer garder une posture haute si les muscles qui la maintiennent sont trop faibles. Il faut les réveiller.
1. Serrage des omoplates (scapular squeeze)
Mode d’emploi :
Assis ou debout, dos droit
Imaginez que vous voulez pincer un stylo entre vos omoplates
Tirez doucement les épaules vers l’arrière et légèrement vers le bas
Maintenez 5 secondes, relâchez 5 secondes
Répétez 10 à 15 fois
Attention : ne cambrez pas le bas du dos, le mouvement se passe entre les omoplates.
2. “Y-T-W” au sol ou au mur
Objectif : renforcer les différents faisceaux du haut du dos et des épaules.
Version debout au mur :
Dos au mur, tête, haut du dos et bassin en contact
Levez les bras au-dessus de la tête en formant un Y avec le corps
Puis descendez en T (bras à l’horizontale), puis en W (coudes pliés proches du buste)
À chaque position, imaginez que vous poussez légèrement les bras contre le mur
Répétez le cycle 5 à 8 fois
C’est un excellent exercice de “réveil” avant un cours de yoga ou une journée de bureau.
3. Planche avec attention à la nuque
Objectif : intégrer la tête et le cou dans l’alignement global.
Mode d’emploi :
Placez-vous en planche (sur les mains ou les avant-bras)
Alignez tête, épaules, hanches et talons
Imaginez que quelqu’un vous tire par l’arrière du crâne vers l’avant
Gardez la nuque longue, regard vers le sol
Tenez 20 à 30 secondes, 2 à 3 fois
Si la tête tombe ou part vers l’avant, vous perdez l’essentiel. Corrigez avant de tenir plus longtemps.
Adapter vos postures de yoga pour sortir du mode tortue
Le tapis peut soit renforcer votre problème, soit le transformer. Tout dépend de votre façon d’aborder les postures.
En chien tête en bas
Pliez légèrement les genoux pour éviter de tirer sur les ischios et de compenser avec le haut du dos
Poussez le sol avec les mains comme si vous vouliez l’éloigner de vous
Imaginez que vos aisselles veulent regarder l’un vers l’autre (rotation externe des épaules)
Laissez la tête dans le prolongement de la colonne, pas pendue ni cassée
En posture assise (méditation, tailleur)
Asseyez-vous sur un coussin ou un bloc pour surélever le bassin
Inclinez très légèrement le bassin vers l’avant (comme si vous vouliez sortir les fesses derrière)
Grandissez la colonne, imaginez un fil qui vous tire du sommet du crâne vers le haut
Relâchez les épaules, mais gardez la poitrine ouverte
Ne restez pas 20 minutes à vous effondrer. 5 minutes bien aligné valent mieux que 20 minutes affaissé.
En flexions avant
Ne cherchez pas à toucher les pieds à tout prix
Pensez d’abord à allonger le dos, comme si vous vouliez sortir le sternum vers l’avant
Pliez les genoux autant que nécessaire pour garder le buste long
Arrêtez-vous avant le point où le dos s’arrondit en C
Votre ego n’a pas besoin de toucher vos orteils. Votre dos, si.
3 habitudes quotidiennes pour que le changement tienne
Quelques minutes sur le tapis ne compensent pas 8 heures affaissé devant un écran. Il faut donc glisser la correction posturale dans votre quotidien.
1. Le check-posture toutes les 2 heures
Programmez un rappel discret sur votre téléphone.
Siège : est-ce que je m’affaisse ou est-ce que je suis assis sur mes ischions ?
Épaules : sont-elles montées aux oreilles ou posées, légèrement en arrière ?
Tête : est-ce que mon menton dépasse largement l’écran ?
30 secondes pour se réaligner, plusieurs fois par jour, valent mieux qu’une séance héroïque une fois par semaine.
2. La règle du téléphone à hauteur d’yeux
Simple, mais redoutablement efficace :
Quand vous regardez votre téléphone, montez-le à hauteur des yeux
Ne descendez pas la tête vers le téléphone
Vous aurez peut-être l’air un peu bizarre les premiers jours. Votre nuque vous dira merci sur le long terme.
3. Un micro-rituel matin ou soir
Choisissez 3 exercices parmi ceux vus plus haut (par exemple : ouverture de poitrine au mur, scapular squeeze, torsion allongée) et faites-en votre mini-routine quotidienne de 5 minutes.
La question n’est pas “quels sont les meilleurs exercices du monde ?” mais “quels exercices simples suis-je prêt(e) à faire tous les jours pendant 3 mois ?”.
Et maintenant, que faites-vous de votre carapace ?
Vous n’avez pas choisi de développer une posture tortue. Par contre, vous pouvez choisir ce que vous en faites maintenant :
Continuer comme avant, en espérant que “ça passe” (spoiler : ça ne passe pas)
Attendre d’avoir plus mal pour s’en occuper (classique, mais cher payé)
Ou décider d’attaquer le problème dès maintenant, de façon simple et régulière
Trois questions pour finir, à vous poser honnêtement :
Sur une échelle de 1 à 10, à quel point ma posture actuelle me gêne (physiquement ou dans l’image que j’ai de moi) ?
Qu’est-ce que je suis prêt(e) à changer concrètement cette semaine (1 seul engagement réaliste) ?
Comment je peux m’assurer de tenir ce nouveau rituel au moins 30 jours (rappel, partenaire, coach, cours planifié…) ?
Redresser le haut du dos, ce n’est pas retrouver la posture parfaite d’un magazine. C’est surtout récupérer de l’espace pour respirer, bouger, et vivre avec moins de douleurs et plus de présence. Et ça, ça se construit un choix, une respiration, un exercice à la fois.