Sur un marathon, vos jambes ne sont pas le problème principal.
Le vrai juge, c’est votre tête.
On le voit très bien en coaching : même à niveau physique équivalent, certains explosent à partir du 30e alors que d’autres déroulent presque proprement jusqu’à l’arrivée. La différence ne se joue pas uniquement sur les séances VMA ou le volume hebdo, mais sur la manière dont ils ont préparé – puis piloté – leur mental tout au long de la course.
La bonne nouvelle : la préparation mentale, ça se travaille. Et surtout, ça se structure.
Dans cet article, je vous propose une stratégie psychologique simple, concrète, pensée du premier au dernier kilomètre. Objectif : éviter le naufrage mental, garder le contrôle, et finir avec le sentiment d’avoir vraiment fait votre course.
Avant le départ : poser les fondations mentales
Si vous arrivez sur la ligne avec seulement « finir » comme stratégie mentale, vous partez déjà avec un handicap. Avant de parler de kilomètres, il y a trois choses à clarifier.
1. Définir un objectif réaliste (et assumé)
Un marathon, ce n’est pas : « On verra bien sur place ». Votre cerveau déteste l’approximation le jour J. Il a besoin d’un cap clair.
Posez-vous trois niveaux d’objectifs :
- Objectif ambitieux : si tout se passe très bien (météo, forme, parcours fluide).
- Objectif réaliste : cohérent avec vos sorties longues et vos allures d’entraînement.
- Objectif plancher : celui qui reste acceptable même en cas de pépin (chaleur, vent, petit coup de mou).
Pourquoi trois ? Parce que le cerveau supporte mal de « rater son objectif ». Avoir plusieurs niveaux permet d’ajuster sans entrer en mode échec-total au km 28.
2. Écrire votre scénario de course
Prenez une feuille, divisez votre marathon en blocs (0–10, 10–21, 21–30, 30–35, 35–42) et notez, pour chaque bloc :
- Ce que vous risquez de ressentir (physiquement, mentalement).
- Ce que vous ferez concrètement (rythme, alimentation, pensées-clés).
- Vos phrases d’auto-coaching pour ce passage.
C’est ce qu’on appelle de la préparation par scénarios. Le jour J, ce n’est plus « catastrophe, j’ai un coup de mou », mais « ok, je suis dans la phase prévue, applique le plan ».
3. Préparer vos phrases d’auto-dialogue
On sous-estime à quel point on se parle pendant un marathon. Et souvent, on se parle mal.
Préparez à l’avance 5 à 7 phrases simples, à sortir dans les moments clés :
- Pour le départ : « Reste calme, la course commence au 30e. »
- Pour les premiers doutes : « C’est normal de fatiguer, avance juste jusqu’au prochain ravito. »
- Pour le mur : « Tu as déjà géré pire, 500 m par 500 m. »
- Pour les moments où vous vous comparez : « Fais ta course, pas celle des autres. »
Mentalement, ce sont vos « commandes rapides ». Au lieu de laisser tourner n’importe quoi dans votre tête, vous avez un script prêt.
Sur la ligne de départ : dompter la pression
Sur la ligne, vous n’êtes pas en train de courir. Vous êtes surtout en train de gérer : le stress, le bruit, les autres.
Votre job à ce moment-là :
- Respirer bas et lent : inspirez par le nez, soufflez longtemps par la bouche, focalisez-vous 30 secondes sur le ventre qui se gonfle et se dégonfle.
- Réduire le bruit mental : inutile de ressasser l’entraînement que vous n’avez pas fait ou la météo. C’est trop tard. Ramenez votre attention sur la première mission : sortir proprement les 5 premiers kilomètres.
- Accepter le stress : avoir la boule au ventre, c’est normal. Ça veut dire que le cerveau a compris que l’enjeu est réel. Ne cherchez pas à éradiquer le stress, apprenez à fonctionner avec.
Posez-vous cette question juste avant le coup de feu : « C’est quoi, mon job sur les 5 premiers kilomètres ? »
Réponse : freiner, pas se prouver qu’on est en forme.
Du km 0 au km 10 : la course contre votre ego
C’est la phase la plus dangereuse mentalement. Vous êtes frais, porté par l’ambiance, l’excitation, les autres qui partent trop vite.
Objectif mental de ce bloc : canaliser, freiner, installer le rythme de croisière.
Stratégies concrètes :
- Regarder votre allure, pas votre forme : vous vous sentirez bien, c’est normal. C’est piège. Tenez l’allure décidée, même si vous avez l’impression de trottiner.
- Vous répéter un mantra de patience : « Je garde du jus pour le 30e », « Tranquille, la vraie course commence après le semi ».
- Rester dans votre bulle : ne vous laissez pas aspirer par un groupe plus rapide « juste pour voir ». Le marathon ne pardonne pas ces petits paris.
Un bon indicateur mental : si, au km 10, vous avez envie d’accélérer, c’est que vous êtes bien parti. Si vous êtes déjà en mode « ça tire un peu », vous payez probablement un départ trop rapide.
Du km 10 au km 21 : gérer l’ennui et la lucidité
Physiquement, ça va encore. Psychologiquement, c’est souvent une phase un peu monotone. Le corps commence à travailler, mais l’arrivée est encore très loin.
Objectif mental de ce bloc : entrer dans une routine et rester lucide.
À ce moment-là, focalisez-vous sur :
- Votre technique : relâchement des épaules, foulée souple, respiration régulière. Avoir un petit « scan corporel » à répéter tous les 2–3 km occupe l’esprit utilement.
- Votre plan d’hydratation et de nutrition : ne décidez pas « sur le moment » si vous buvez ou non. Appliquez ce que vous avez testé à l’entraînement.
- Des micro-objectifs : « Jusqu’au prochain ravito », « Jusqu’au virage », « Jusqu’au pont ». Le cerveau adore cocher des petites étapes plutôt que d’affronter un bloc de 42 km.
Au passage du semi-marathon, vous pouvez faire un check rapide :
- Je suis dans l’allure prévue ?
- Je reste capable de parler en quelques phrases courtes ?
- Je sens la fatigue, mais j’ai encore du contrôle ?
Si la réponse est oui aux trois, continuez comme ça. Si vous êtes déjà dans le dur, la priorité devient : protéger le mental en acceptant éventuellement de lever un peu le pied pour éviter l’explosion plus loin.
Du km 21 au km 30 : la frontière entre contrôle et combat
C’est souvent là que la course commence pour de vrai. Les réserves baissent, les premières douleurs apparaissent, le cerveau commence à négocier.
Objectif mental de ce bloc : rester stratège, pas victime.
Votre tête va probablement lancer quelques perches :
- « Tu peux ralentir un peu, tu as déjà fait la moitié. »
- « De toute façon, tu n’as pas assez dormi cette semaine. »
- « Pourquoi tu t’infliges ça ? »
Deux options à ce moment-là :
- Vous débattez avec ces pensées → vous perdez de l’énergie mentale.
- Vous les reconnaissez et vous revenez au plan → vous avancez.
Une phrase utile ici : « Ok, pensée notée. Maintenant, reviens sur l’allure / la foulée / la respiration. »
Vous pouvez aussi vous fixer un contrat mental simple : « Je ne prends aucune décision de ralentir durablement avant le km 30. Jusque-là, j’applique le plan. »
Du km 30 au km 35 : le fameux mur
Le « mur », ce n’est pas juste une chute de glycogène. C’est aussi un choc psychologique : pour la première fois, le cerveau envoie un message très clair : « Stop. »
La question n’est pas : « Vais-je avoir un coup de mou ? » mais plutôt : « Comment vais-je le gérer quand il arrive ? »
Objectif mental de ce bloc : accepter la douleur sans dramatiser, fragmenter la course.
Stratégies utiles :
- Réduire le champ de vision mental : au lieu de penser « encore 12 km », pensez « jusqu’au prochain km », voire « jusqu’au prochain lampadaire » si vraiment c’est dur.
- Accepter que ça fasse mal : souffrir à ce stade n’est pas un signe d’échec, c’est juste la norme sur marathon. Remplacez « J’en peux plus » par « C’est ça, un marathon, continue. »
- Stabiliser plutôt qu’accélérer : même si vous aviez prévu une fin rapide, la priorité est de rester dans un effort soutenable. Le mental déteste les à-coups à ce niveau de fatigue.
Un outil qui marche bien : la dissociation contrôlée. Vous vous parlez comme si vous coachiez quelqu’un d’autre :
- « Ok, tu as mal aux cuisses, c’est logique vu le kilométrage. Garde ta foulée, relâche les épaules, pense au prochain ravito. »
Vous sortez un peu de votre ressenti immédiat pour reprendre une posture d’observateur / décideur.
Du km 35 à l’arrivée : gérer la bataille intérieure
C’est la zone où, en coaching, on voit apparaître les vrais profils mentaux. Ceux qui se disaient « pas très solides » se découvrent une réserve. Ceux qui se pensaient hyper forts implosent parce qu’ils n’avaient jamais vraiment préparé ce moment.
Objectif mental de ce bloc : ne plus gaspiller une seule unité d’énergie mentale.
Concrètement, ça veut dire :
- Focalisation maximale sur trois choses : pose du pied, respiration, direction / trajectoire.
- Plus de débats internes : ce n’est plus le moment de philosopher sur votre vie. Chaque pensée du type « j’en ai marre » est un vol d’énergie.
- Accepter d’être primitif : vous pouvez fonctionner sur des mantras très simples. « Un pas de plus », « Tu tiens », « Encore 30 secondes comme ça ».
Dans cette phase, une stratégie efficace est d’alterner :
- Des séquences de focalisation de 2–3 minutes où vous êtes 100 % dans la foulée.
- Des micro-repères extérieurs : encouragements du public, musique, point fixe à atteindre, sans vous disperser.
Et surtout, rappelez-vous : la douleur augmente, mais le temps aussi. Chaque minute passée est une minute en moins à tenir. Votre job : rester dans la course mentale jusqu’au bout, même si l’allure baisse légèrement.
Après la ligne : exploiter à fond l’expérience mentale
Le marathon ne s’arrête pas à l’arrivée. Pour votre mental, c’est une mine d’or d’informations. Si vous prenez 20 minutes pour débriefer à froid, vous gagnez des mois de progrès pour la suite.
Trois questions puissantes à vous poser :
- Où ai-je commencé à perdre le fil mentalement ? (km, contexte, pensées qui tournaient)
- Qu’est-ce qui m’a le plus aidé à tenir ? (une phrase, une personne, un repère, une stratégie)
- Si je devais recourir le même marathon dans un mois, qu’est-ce que je changerais mentalement ?
Ces réponses sont bien plus précieuses qu’un simple « j’ai fait XhXX ». Elles vous permettent de transformer chaque course en entraînement mental pour la suivante.
Comment entraîner tout ça à l’entraînement
Évidemment, on ne découvre pas toute cette stratégie le jour J. On la teste, on l’ajuste, on l’entraîne.
Quelques pistes concrètes :
- Sur vos sorties longues :
- Fractionnez mentalement en blocs (exactement comme sur marathon).
- Testez vos phrases d’auto-dialogue dans les 20 dernières minutes, quand ça commence à tirer.
- En fin de sortie, au lieu de râler intérieurement, entraînez-vous à penser « Normal que je sois fatigué, c’est le but, continue proprement jusqu’au bout. »
- Sur les séances difficiles :
- Avant la série, fixez un objectif mental : « Je ne négocie pas les deux dernières répétitions. »
- Repérez le moment où vous avez envie de lever le pied. Notez ce que vous vous dites exactement. C’est la même voix qui parlera au km 32.
- Au quotidien :
- Sur un trajet en côte à vélo, un escalier, une situation un peu inconfortable : observez comment votre mental réagit, et entraînez-vous à « décider » une attitude plutôt que de subir.
La préparation mentale n’est pas un module à ajouter à la fin de votre plan d’entraînement. C’est une manière de vivre toutes vos séances : avec un œil sur ce que vous entraînez physiquement, et un autre sur ce que vous entraînez dans votre tête.
Adapter la stratégie à votre profil
Tout le monde ne vit pas un marathon de la même façon. Deux profils reviennent souvent en coaching :
1. Les « contrôleurs » : vous aimez tout prévoir, tout cadrer, tout sécuriser.
Forces : vous êtes capables de suivre un plan avec rigueur. Risque : paniquer au moindre grain de sable.
Ce qui vous aide :
- Préparation par scénarios avec « plans B » clairs (chaleur, vent, douleur, retard sur l’allure).
- Travailler l’acceptation de l’imprévu : vous entraîner parfois sans montre, ou sur des parcours inconnus, pour muscler votre capacité d’adaptation.
2. Les « impulsifs » : vous aimez courir « au feeling », partir au taquet, suivre les autres.
Forces : beaucoup d’enthousiasme, capable de vous dépasser. Risque : explosion totale au 30e.
Ce qui vous aide :
- Des garde-fous très concrets : allure maximale autorisée sur les 10 premiers kilomètres, interdiction de doubler sur le premier 5 km, par exemple.
- Un partenaire ou un groupe qui vous « retient » en début de course.
Dans les deux cas, l’idée n’est pas de vous transformer, mais de canaliser votre profil mental au service de la course, au lieu de le subir.
En résumé : penser son marathon comme un projet mental
Un marathon réussi, ce n’est pas « j’ai tenu jusqu’au mur puis j’ai serré les dents ». C’est un enchaînement de décisions mentales, prises en amont et appliquées au bon moment :
- Vous arrivez avec des objectifs clairs et réalistes.
- Vous avez un scénario mental découpé en blocs.
- Vous connaissez vos phrases d’auto-dialogue pour les moments clés.
- Vous savez que le mur arrivera et vous avez prévu comment réagir.
- Vous débriefez ensuite, pour capitaliser au lieu de juste subir.
La prochaine fois que vous préparez un marathon, posez-vous cette question toute simple : « Si je préparais mon mental aussi sérieusement que mes jambes, qu’est-ce que je changerais dès cette semaine ? »
Commencez par là. Le reste suivra.